8 février 2011

Maltraitance: épauler les aînés sur le terrain | Le Devoir

Pour le fondateur de l'organisme DIRA-Laval, Gilles Fournier, il faut accompagner les personnes âgées, et pas seulement les diriger vers les différents services d'aide



Les problèmes de santé, l’énergie qui décline et l’effritement du réseau social découragent souvent les aînés de se précipiter dans des combats contre la maltraitance de manière autonome. Mais des organismes comme Soutien aux aînés victimes d’abus, qui a dans ses rangs des bénévoles retraités, pour la plupart issus de milieux professionnels spécialisés reliés au domaine du droit, du travail social ou de la finance, accompagneront les victimes.
Pour contrer la maltraitance envers les aînés, il faut sensibiliser, informer et dépister. Mais est-ce assez? Une fois le cri d'alerte entendu, l'accompagnement semble tout aussi nécessaire. Cette démarche de terrain a fait ses preuves à Laval. À Montréal, elle commence timidement à se développer.

Le mandat paraissait simple: briser l'isolement des aînés. Mais l'agent de liaison pour le Carrefour communautaire Montrose, Yvon Cléroux, fut rapidement aux prises avec des cas d'abus psychologiques, physiques et financiers. «L'isolement et la maltraitance, c'est lié de très près. L'un entraîne facilement l'autre», constate-t-il aujourd'hui. En à peine trois ans d'activité, plus de 320 personnes âgées vulnérables ont déjà fait appel à ses services à l'intérieur des limites du quartier Rosemont. Le regard perçant, le ton et les expressions aguerris, il raconte, sans forcer la note, de multiples histoires «pathétiques» d'arnaques ou de réprimandes injustifiées, que ses fonctions lui ont fait découvrir. «Il y a des cas où tu arrives et tu ne t'imagines pas que ça existe à cinq coins de rue d'ici», admet-il, lors d'une rencontre au centre communautaire, près de la rue Masson et du boulevard Saint-Michel.

Chaque été, il cogne de porte en porte en compagnie des policiers cadets pour offrir ses services. Il aménage des kiosques d'information dans les endroits les plus fréquentés par les personnes âgées, en plus d'inscrire son numéro de téléphone sur des affiches officielles dans plusieurs vitrines. «De but en blanc, ils ne te font pas de confidences», explique M. Cléroux qui, sans s'imposer, reçoit parfois des appels des mois après ses activités de sensibilisation.

Lorsqu'une personne en détresse se manifeste, l'action est immédiate et l'accompagnement s'impose. «On a vraiment toute une façon de faire pour que les gens ne soient pas laissés en suspens pendant des jours», explique Jacques Brosseau, directeur du Carrefour Montrose. Cet engagement instantané s'avère indispensable, selon lui. «La première chose dont les gens ont besoin, c'est d'être rassurés [...]. Il faut donner confiance à ces personnes, mais ce sont des personnes qui ont fait confiance et qui ont été abusées. Il faut faire attention.»

Il ne s'agit donc plus de banalement référer aux services les plus proches. «Des gens victimes d'abus sexuels, j'en ai vu aussi, relate Yvon Cléroux. Déjà, de venir confier ça à moi, un pur étranger, ça leur demande un effort surhumain. La personne n'a pas le goût d'aller raconter ça à tout le monde. Moi, il faut que je trouve un support psychologique pour cette personne. Il en existe. C'est juste que la personne ne le trouvera jamais [si elle est laissée à elle-même]».

Le même type de soutien est offert aux gens victimes d'abus financier. «La personne qui va témoigner contre son fils, déjà que ça a été [difficile] de la convaincre de faire ça, tu ne l'envoies pas seule au palais de justice».

Pour tout l'est de Montréal

Les problèmes de santé, l'énergie qui décline et l'effritement du réseau social découragent souvent les aînés de se précipiter dans ces combats de manière autonome. «Ce qui va faire en sorte qu'ils ne vont pas nécessairement entreprendre des démarches de dénonciation ou se rendre jusqu'à la partie judiciaire du problème, c'est qu'ils sont vraiment seuls», explique d'ailleurs Diane Charrette, coordonnatrice du tout nouveau projet-pilote Soutien aux aînés victimes d'abus (SAVA). Lancée officiellement en octobre dernier, cette initiative de la Table de concertation des aînés de l'île de Montréal, en partenariat avec le Carrefour Montrose — qui commençait à recevoir des appels en provenance d'autres quartiers —, vise à étendre la démarche d'accompagnement à tout l'est de l'île.

Sept bénévoles retraités, pour la plupart issus de milieux professionnels spécialisés reliés au domaine du droit, du travail social ou de la finance, accompagneront les victimes. Un initié à l'univers judiciaire pourra donc, par exemple, être aux côtés d'une victime lors d'une rencontre avec un avocat pour ensuite vulgariser des informations qui ont été fournies dans un jargon hermétique.

«Dans certains cas [les victimes] ne vont pas aller jusqu'au bout de la démarche, reconnaît Diane Charrette. Mais les personnes, au moins, quand elles prennent leurs décisions, c'est en pleine connaissance de leurs droits et de tout ce que cela a comme implications et conséquences. Déjà, c'est avoir [plus] de pouvoir sur sa vie».

La formule éprouvée de DIRA-Laval

SAVA adapte au milieu communautaire montréalais la formule de l'OSBL DIRA-Laval qui, après huit ans d'existence et 1900 cas gérés, s'est constitué une équipe de 4 employés et 23 bénévoles au service des personnes âgées victime d'abus. «Notre premier objectif, ce n'est pas de les prendre en main, c'est de les aider, eux, à se prendre en main», illustre le fondateur de DIRA-Laval, Gilles Fournier.

Selon le récipiendaire du prix de la Justice en 2008, la contribution de bénévoles retraités s'avère foncièrement bénéfique, tant par l'expertise qu'ils apportent que par le lien de confiance qu'ils peuvent tisser. «On a réalisé que quand on est du même groupe d'âge, qu'on a des cheveux gris, qu'on est retraités, on n'utilise pas le même langage. [...] Dans le temps de le dire, on a une façon de communiquer avec laquelle on va chercher des informations que d'autres ne sont pas capables d'aller chercher.»

À son avis, cette approche transversale, qui bâtit des ponts entre tous les services possibles pour la personne tout en l'assistant, constitue «la seule solution, parce qu'il n'y a pas deux cas semblables», même si l'ingénieur à la retraite nuance par la suite, notant que certaines récurrences s'observent dans les types d'abus.

«Une ligne d'appel, ce n'est pas assez. Passer des dépliants, ce n'est pas assez», insiste celui qui a créé l'organisme en 2002. Président à l'époque de l'Association québécoise de défense des droits des personnes retraitées (AQDR) à Laval, Gilles Fournier n'en pouvait plus de se faire reprocher de «se débarrasser» des aînés en les dirigeant vers d'autres services.

«Accompagner veut aussi dire aller sur le terrain, aller chez les gens, les rencontrer, les écouter, essayer de décortiquer le problème. Parce que plus de 40 % des cas qu'on règle ici sont reliés à des abus financiers», constate M. Fournier en évoquant la complexité et la délicatesse de certains des dossiers; des situations dont la portée demeure parfois insaisissable lors d'un coup de téléphone.

La création d'un DIRA en Montérégie piétine, essentiellement à cause du financement. Gilles Fournier n'en démord pas et appelle d'autres régions à suivre son modèle. «Ce que je déplore à Montréal, c'est qu'il n'y ait pas grand-chose de fait. On est venu nous rencontrer souvent pour voir le modèle DIRA, mais à part [SAVA], il n'y en a pas d'autres qui ont tenté.»

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