28 octobre 2010

L'interruption de vieillesse | Points de vue

.... (PHOTO: SHAUN BEST, ARCHIVES REUTERS)

PHOTO: SHAUN BEST, ARCHIVES REUTERS

Des voix, de plus en plus nombreuses, demandent que l'État légifère pour que l'on puisse mettre fin à la vie terrestre de grands malades, voire d'enfants anormaux. Elles demandent une législation du «meurtre par pitié» ou «meurtre par compassion». La question est de savoir si cette permission légale servirait le bien commun, si cette loi serait un gain pour la société?
Le docteur Crick
Sauf une ou deux exceptions, aucun pays n'a osé légaliser explicitement l'euthanasie. «La moindre tolérance à l'égard du meurtre euthanasique, affirme un médecin bien connu en France, aboutirait infailliblement à une interprétation large, ouvrant la porte aux pires excès.» Devant le vieillissement de la population, l'État ne serait-il pas tenté par une certaine euthanasie «sociale» ou «eugénique»? Ne serait-il pas attiré par un monde «meilleur» où toutes traces de déficience, de tares plus ou moins graves, devraient être éliminées chez les humains?
Selon certains, devant un bébé à naître mal formé, un pied-bot, un bec de lièvre, un strabisme, un angiome lie-de-vin qui défigure le visage humain, l'État devrait encourager les parents à procéder à l'illimitation de cet être portant des infirmités qui affligent l'enfant naissant et qui perturbent la vie des adultes en leur occasionnant bien des souffrances. Puisqu'il est possible maintenant de déceler les malformations du foetus avant la naissance, ne faudrait-il pas rendre l'avortement obligatoire dans tous ces cas et, dans l'hypothèse où les parents refuseraient de prendre cette direction, l'État ne devrait-il pas supprimer les prestations sociales accordées à la mère, comme l'a suggéré un médecin européen?
La thèse du Docteur Crick fait de plus en plus d'adeptes. Celui-ci suggère une interruption de vieillesse légalisée et une sortie, dans la dignité, de cette vallée de larmes. Que faire avec les malades qui vivent dans nos hôpitaux psychiatriques? Que faire avec ceux qui croupissent dans nos prisons et qui coûtent fort cher aux contribuables? Devrait-on les éliminer pour sauver des sous? Et en ce sens, pourquoi pas, afin d'assurer l'idéologie de la mort programmée, trouver ainsi de subtils moyens pour faire disparaître des ennemis politiques? Voilà, en quelques mots, la thèse de l'interruption de la vieillesse structurellement programmée.
On le voit bien: lorsque l'on commence à toucher à l'être humain, à manipuler la vie, le risque est grand de ne plus trouver les limites où s'arrêter. Selon une sommité en médecine européenne, «il faut bien se garder de mettre le doigt dans l'engrenage, car le meurtre est contagieux. À partir du moment où il est possible, tout est possible, y compris le génocide; pis, la glorification du génocide». Le XXe siècle nous fournit plusieurs exemples. J'ai vu, en Pologne, les horreurs des camps d'Auschwitz !
Jean Rostand affirmait un jour: «Peut-être peut-on aimer assez pour commettre un crime, mais il faut que, légalement, cela reste un crime.» Est-il permis de tuer par amour? La réponse ne doit pas venir d'une loi qui l'autoriserait, car ce serait affirmer que certaines catégories de meurtres peuvent être légalisés. L'euthanasie active? Non! «Dès que le respect de la vie n'est pas un absolu, les conséquences peuvent être terribles. En ce sens, nous sommes tous condamnés à la vertu», affirme toujours Jean Rostand. «Les forces de la vie doivent résister aux forces de la mort, celles qui poussent à des solutions de désespoir, comme supprimer la vie humaine, qu'elle soit encore en germe, ou qu'elle arrive à son terme.» C'est toujours l'agnostique Jean Rostand qui parle.
De la Mosquée au Vatican
Quelle est la doctrine des trois grandes religions monothéistes (musulmane, juive et chrétienne orthodoxe et catholique) sur l'euthanasie?
L'Islam, par la voix du Coran, est explicite. La sourate 2 déclare qu'«il est interdit de donner la mort, si ce n'est à bon droit»; à bon droit, c'est-à-dire la peine de mort pour un criminel si la sauvegarde de la société l'exige. Hors de ce cas, le meurtre est formellement condamné par l'Islam. La sourate 3 précise encore: «Ne vous tuez pas, car Dieu est plein de compassion pour vous. Quiconque tue sera passible de la géhenne éternelle.» La doctrine générale du respect de la vie s'applique également à l'avortement. Toute vie humaine doit être respectée du début à la fin. La vie et la mort dépend de Dieu.
Le judaïsme est tout aussi formel au sujet du respect de toute forme de vie humaine. Pour le monothéisme juif, c'est Dieu qui donne la vie. Aucune autorité humaine ne peut se permettre, pour quelque motif que ce soit, d'en disposer d'une façon délibérée, qu'il s'agisse de sa propre vie, dans le suicide, ou de celle d'un autre, dans l'homicide. «Toutes les vies m'appartiennent. L'âme du père comme celle du fils, c'est à Moi qu'elles appartiennent», lit-on au livre d'Ézéchiel.
Les chrétiens orthodoxes, par la voix du théologien russe de l'émigration Olivier Clément va dans le même sens: «L'euthanasie n'a pas de sens dans la mesure où nous croyons que la vie terrestre est seulement un moment du destin de l'homme, que ce destin traverse la mort, et que, en Christ, la mort est vaincue. L'euthanasie est essentiellement le problème que peut poser une société nihiliste pour laquelle la seule réalité est la vie terrestre et qu'il faut avant tout éviter la souffrance.»
La doctrine catholique romaine sur le respect de la vie est la même que celle des chrétiens orthodoxes. Le pape Pie XII l'a rappelé d'une façon non équivoque le 29 octobre 1951: «Tout être humain - même l'enfant dans le sein de la mère - tient le droit à la vie essentiellement de Dieu, non de ses parents ni de quelque société ou autorité humaine que ce soit. Il n'y a donc aucun homme, aucune autorité humaine, aucune indication médicale, eugénique, sociale, économique, morale, qui puisse disposer directement et délibérément d'une vie humaine innocente en vue de sa destruction.»
Pie XII, le 24 février 1957, devant une assemblée internationale de cinq cents médecins et chirurgiens précise sa pensée. La douleur n'a pas de valeur comme telle; elle ne prend sa dignité morale que dans la mesure où elle sert d'expression à l'amour de Dieu. Par conséquent, l'usage des anesthésiants pour calmer la douleur est légal. Toute forme d'euthanasie directe - administrer un narcotique dans le but de provoquer la mort - est illicite. Si, entre la narcose et l'abrègement de la vie, n'existe aucun lien causal direct causé par la volonté des intéressés, ou la nature des choses, et si, au contraire, l'administration du narcotique n'entraîne pas elle-même deux effets distincts (soulagement des douleurs et abrègement de la vie), elle est licite.
C'est la morale de la règle du double effet. Le médecin vise (effet direct) le soulagement la douleur mais entraîne (effet indirect) un raccourcissement de la vie terrestre. Il est donc possible, selon la pensée catholique romaine, de donner des calmants (effets directs) à un malade souffrant, sachant très bien que cela peut diminuer ses nombres de jours à vivre (effets indirects). Cette position est logique et totalement humane. Je l'adopte totalement. Sans passer par la commission sur le droit de mourir dignement!
Nestor Turcotte, philosophe
Matane

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